Sans doute antérieure à
l'industrialisation, la détérioration humaine
s'est
incontestablement développée sous l'effet
d'une urbanisation violente et
désordonnée. L'inadaptation totale de la ville
au contenu grossissant des masses
venues y chercher du travail, déchira les modes de
vie et en créa un autre si
défectueux, qu'il donna l'impression aux
contemporains d'engendrer une race
nouvelle d'hommes. Manifeste en période
d'épidémie, la vulnérabilité de
cette
sous-humanité inquiète l'hygiéniste.
Les signes d'une dégénérescence qui
obsèdent
le siècle, trouvent chez lui une sorte aruspice qui,
par de multiples enquêtes,
expériences et observations, fera surgir un langage
nouveau. Interprète d'un
brassage adaptatif des mythes biologiques avec les
découvertes scientifiques, cette
rhétorique s'offre au monde comme discours universel
et incontournable de la
modernité politique.
A l'époque, règne
l'idée que "ce n'est pas le travail des fabriques qui
nuit direc-
tement à l'ouvrier (...). C'est (donc), par les
conditions de logement, de nourriture,
de vêtements, de fatigue et de moeurs, que (l'on)
trouvera les causes directes du
dépérissement de la classe ouvrière"
34. Or, le
compas qui va servir à mesurer
l'ampleur du rattrapage à effectuer en matière
de restauration alimentaire, c'est la
viande.
Dans l'ordre des subsistances, elle va
reproduire à l'octave les antiques struc-
tures bio-politiques du pain et y ajouter une dimension
thérapeutique proche de la
logique opothérapique. Nourrir les corps avec du
matériau animal, c'est les aider à
se réparer solidement et sans détour. Au cours
du siècle, cette démultiplication har-
monique se fera pour le lait. Nourriture de l'enfance, il
consolidera le futur enfermé
dans l'homme et transmettra l'obsédant leitmotiv d'un
eugénisme alimentaire bal-
butié par la viande.
34Dr. THOUVENIN
(médecin à Lille), "De l'influence que
l'industrie exerce sur la santé des
populations dans
les grands centres manufacturiers", HPML, XXXVI, (1846), p. 277.
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